Nathalie
Ecrite par L’écrivain marocain : Abdou Hakki
Traduite en français par l’écrivain tunisien : Said Eljandoubi
Savait-elle…!? Rêvait-elle !? L’aigle de Srebrenica a perdu ses ailes et son bec crochu et, le voilà tombé dans le piège… le voilà donc, dans la cage que lui a tendue la justice
Nathalie est une enfant de la taille d’une antique légende macédonienne… son histoire débuta la nuit pendant laquelle s’abattit l’aigle de Srebrenica sur le nid d’une cheminée qui soufflait la fumée d’une chaleureuse quiétude… c’était au cours d’un certain hiver chargé d’adversité…
Ce matin-là je cherchai Nathalie à l’école… sous un préau en tuiles monotones, je questionnai ces amies, ses camarades et les nuées d’hirondelles, dans les forêts de chênes, sur le mont Trépvi ; mais je ne pu trouver que son testament, rédigé sur une ardoise éclaboussée par le sang de son grand père, gisant sur le pont de Zenica… une ardoise que les lourdes chenilles des chars de combat avaient raté.
Le jour même où je fis la connaissance de Nathalie, dans le jardin de Cirque Maximum, dans la banlieue de Rome, la nouvelle me foudroya… mon compagnon me dit : « regarde là-bas, l’homme allongé sur le tapis turc… cet homme à la barbe grisonnante et soignée et, au visage ridé. Cet homme débordant de coquetterie, n’est pas, en fait, son père naturel… C’est ce que m’affirma le douanier assis dans la pièce aux vitres foncées… le douanier noyé dans sons uniforme brun, sur la frontière Sud avec l’Italie… »
« Nathalie est une fille bosniaque d’un village nommé Khorana. Va là-bas et tu verras que son petit bateau en papier flotte encore sur le fleuve Khorana ! » Il alluma une cigarette, balança son capuchon à l’arrière et ajouta : « les milices de Slobodan ont exterminé toute sa famille. » Il répéta cette phrase une deuxième fois, puis, à la troisième fois, il fit signe de sa main qui tenait la cigarette. À ce moment-là, une question énigmatique se posa à mes compagnons, le caméraman et le technicien du son, ainsi qu’à moi-même : pourquoi avait-elle survécu au massacre ? On s’interrogea sur cet ange bienveillant que la grâce divine avait envoyé pour qu’il la préserve de la lame qui trancha, froidement, mais avec une haine profonde, tous les cous lices et frêle.
Nathalie n’a pas grandi… la voilà qui s’amuse devant moi… elle court et joue à cache-cache sous les gros rochers, dans les cachettes et les escaliers de Cirque Maximum, dans la banlieue de Rome, avec ses amies, des petites africaines et des enfants d’immigrés clandestins venus du Maghreb.
Lorsque j’ai su son histoire, je l’ai immédiatement interrogé… je l’ai regardé dans ses yeux qui ressemblaient à deux olives… elle m’a parlé dans un italien parfait, mais avec un accent marocain… oh ! Si Nathalie grandissait… si elle savait l’histoire du petit bateau en papier, resté orphelin sur le fleuve Khorana… si elle se rappelait de l’ardoise, de la craie et de la colombe. Le vieux, que les immigrés appelaient Ali Izetbegovic, me dit sur un ton coléreux : « ces salauds de serbes qui logent ici, avec nous … ces malades lui font allusion de la vérité chaque fois que je donne des coups de pied à leurs chiens… où est-ce qu’on va fuir ensemble maintenant ? Partout dans le monde, il y a des casques bleus, de l’extrême Asie jusqu’à la Côte-d’Ivoire… Nathalie est tout ce qui me reste… je l’ai adopté par l’intermédiaire de La Croix Rouge… celle-ci l’avait recueillie chez une unité de l’armée de l’OTAN, avec des dizaines d’enfants bosniaques… Vous savez de quoi je rêve, monsieur ? Vous savez ? Je rêve que Nathalie ne grandit jamais ! Oh ! Je crains qu’elle grandisse et qu’elle retourne au village de Khorana, à la recherche de son ardoise, de sa colombe et de son petit bateau en papier flottant encore sur le fleuve aux eaux calmes.
Dans le restaurant Dolce Vita, nous mangions, Sofia -ma voisine de l’étage en dessous et correspondante du journal Corriere della sera- et moi, une pizza ; soudain, nous parvint du côté du comptoir en bois, situé juste derrière nous, une voix indistincte. Était-ce la voix d’Euronews, ou bien celle d’un ivrogne parlant de Slobodan Milosevic qui vient de succomber, subitement, à une crise cardiaque ? Sofia replia le journal et me lança un regard énigmatique, semblable à celui de Nathalie ; elle sirota ce qui restait au fond de la bouteille de Coca-cola et laissa pendre sa lèvre inférieure, incrédule. Je compris ce qu’elle ressentait. L’homme qui était derrière nous, ajouta avec un fort accent slave : « une crise cardiaque ! Ha… ha… ha… c’est un jeu de dupes ! »
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